Groupe 3 - L'oisif

Ramon CASAS, Jeune Décadente, 1899, collection Musée de Montserrat.

Extrait :

Un troisième [homme] trouve en lui un talent qui, grâce à quelque culture, pourrait faire de lui un homme utile à bien des égards. Mais il se voit dans une situation aisée, et il aime mieux se laisser aller au plaisir que s'efforcer d'étendre et de perfectionner ses heureuses dispositions naturelles. Cependant il se demande encore si sa maxime, de négliger ses dons naturels, qui en elle-même s'accorde avec son penchant à la jouissance, s'accorde aussi bien avec ce qu'on appelle le devoir. Or il voit bien que sans doute une nature selon cette loi universelle pourrait toujours encore subsister, alors même que l'homme (comme l'insulaire de la mer du Sud) laisserait rouiller son talent et ne songerait qu'à tourner sa vie vers l'oisiveté, le plaisir, la propagation de l'espèce, en un mot, vers la jouissance ; mais il ne peut absolument pas VOULOIR que cela devienne une loi universelle de la nature, ou que cela soit implanté comme tel en nous par un instinct naturel. Car, en tant qu'être raisonnable, il veut nécessairement que toutes les facultés soient développées en lui parce qu'elles lui sont utiles et qu'elles lui sont données pour toutes sortes de fins possibles.

Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. Delbos, Delagrave, Paris, 1989, p. 140-141.

Questions :

1. Décrivez la situation imaginée ici par Kant :

a) En quoi la possession de talents d'un côté et une condition sociale aisée d'un autre côté placent-elles le personnage imaginé ici dans une situation de dilemme moral ?

b) Quels seraient, selon vous, les arguments en faveur de chacune des deux options :

• Développer ses talents par l'effort et le travail ; 
  
• Profiter du confort et des plaisirs de la vie qu'offre la richesse.
  

2. Quelle relation pouvez-vous établir ici entre culture ou négligence des talents que l'on possède, et amour de soi ?

3. Quelle relation pouvez-vous établir entre la culture ou la négligence des talents que l'on possède, et la notion de nature, à laquelle se réfère le procédé d'universalisation ? Pour répondre, tenez compte du fait que les dispositions ou les talents dont il s'agit sont, précise Kant, naturels.

4. Relevez l'énoncé de la maxime dont l'universalisation est ici tentée.

5. Pourquoi Kant écrit-il qu'une "nature [...] pourrait toujours encore subsister, alors même que l'homme [...] laisserait rouiller son talent et ne songerait qu'à tourner sa vie vers l'oisiveté, le plaisir, la propagation de l'espèce, en un mot, vers la jouissance" ?

6. Pourquoi y a-t-il ici, cependant, une contradiction entre subsistance de cette nature selon la loi universelle, et volonté que la jouissance, la négligence et l'oisiveté deviennent une loi universelle de la nature ?

7. Pour quelle raison Kant envisage-t-il ici qu'une telle loi universelle, bien qu'impossible, pouvait néanmoins être envisagée comme susceptible de prendre la forme d'un instinct naturel ?

8. Quel est ici l'effet produit par la tentative d'universalisation opérée ?

a) Pourquoi y a-t-il une contradiction entre la possession de talents et de dispositions, et leur négligence au profit de l'oisiveté ?

b) Pourquoi cette contradiction se ramène-t-elle, en dernière instance, à une contradiction de la nature avec elle-même ?

9. Cette contradiction relève-t-elle de l'ordre des conséquences de la conduite envisagée, ou bien est-elle intrinsèque à la maxime qui prétend justifier cette conduite ? Justifiez votre réponse.

Réflexion :

1. Manquerions-nous à notre devoir moral si nous ne parvenions pas à développer nos talents et nos dispositions autant que nous l'aurions pu, par exemple en raison de circonstances de la vie indépendantes de notre volonté ? 

2. Le procédé d'universalisation, appliqué ici, a-t-il pour fonction d'indiquer ce qu'il faut faire pour agir moralement, ou bien ce qu'il ne faut pas faire, de façon à éviter d'agir à l'encontre du devoir ?

3. Quels obstacles s'agit-il ici par conséquent de lever, ou quelles forces adverses s'agit-il de contrecarrer ?